dimanche 29 novembre 2015

Presque plus rien, et pourtant…

Article initialement paru en juin 2015

Depuis longtemps nous entendions des histoires d’avions tombés ici ou là, entre Argelès et Saint Cyprien, sans jamais savoir précisément où. Nous avons collecté quelques informations et même quelques points très approximatifs concernant un avion. Certains semblaient bien connaître le site puisque des images circulaient depuis quelques années. Mais impossible d’en savoir plus, car nous aurions pu, peut-être, ouvrir au grand public un trésor gardé caché ! Donc, nous avons cherché, questionné, fouillé et finalement, trouvé. Trouvé, oui, mais quoi exactement ?
Largage de la gueuse, descente, quelques coups de palmes et :


Enfin ! Enfin ? Enfin…
Nous sommes à la recherche d’un avion disparu 70 ans plus tôt. Les rares images que nous avions vues, ne remontant pourtant qu’à quelques années, montraient une forme d’avion, un fuselage, une queue, des ailes… Sommes-nous bien sur le même vestige ? J’ai du mal à le croire.
Les maigres restes se composent de ce qui serait une aile et d’une masse métallique difficile à identifier mais qui a été déplacée.
Un congre loge à l’intérieur de l’aile. Le bord de l’aile est délimité par un alignement de spirographes qui ont trouvé un support solide sur ce fond de vase.


De la masse métallique, peu de choses à dire à première vue, si ce n’est que c’est un tout petit récif artificiel grouillant de vie



Les spirographes, comme les éléments solides, servent de supports à de nombreuses pontes de calmars et de seiches.



De petits crustacés se cachent au milieu des débris.



Un poulpe est caché derrière sa muraille de coquillages. Il est timide et peu intéressé par la tentative de gratouille…


Les petits bancs de petits poissons et les mouvements des nombreuses blennies curieuses donnent une impression d’animation qui tranche avec les environs faussement déserts visuellement et ponctués de beaux cérianthes.


Mais nous ne sommes pas là uniquement pour faire un inventaire de biodiversité. Il nous faut des données qui nous aideront dans notre enquête, par exemple des dimensions.


Pour terminer, voici une question : que représente la scène suivante ?
a- le bateau est attaqué par des pirates
b- c’est la danse de la pluie parce qu’il fait trop beau
c- c’est-pas-moi-m’sieur-j’ai-rien-fait-m’sieur
d- un début de prière de remerciement à Poséidon (mais où sont les offrandes ?)


Après quelques plongées infructueuses, nous avons trouvé de maigres vestiges. Pouvons-nous dès à présent affirmer leur origine ? Ce n’est pas certain…

Ce qui devient une épave est voué à disparaître à plus ou moins long terme. La désagrégation n’est pas linéaire en fonction du temps. Les parties les plus fragiles sont détruites rapidement, puis la structure fondamentale résiste jusqu’au moment où elle commence à céder. A ce stade, une accélération du processus de disparition peut s’enclencher. Rien n’est fait pour enrayer le mécanisme. Tout ce qu’on peut encore espérer, c’est sauver la mémoire de l’événement. Encore faut-il qu’il y ait suffisamment d’informations pour écrire un récit souvent tragique, mais qui appartient à l’histoire locale. C’est là que les choses se compliquent : refus de communiquer, égoïsme primaire, pseudo-privilège de chasse gardée, incompréhension de la problématique… Il est difficile d’obtenir des informations. Et lorsque les vestiges sont désormais près de la dissolution finale, l’enquête se complique encore… En voici un bel exemple.

Quoi qu’il en soit, ces restes ne sont plus totalement perdus pour tout le monde à l’exception de ceux qui voulaient se les garder. Nous avons encore beaucoup de travail pour leur redonner vie à travers une histoire. Bien entendu, c’est avec le plus grand plaisir que nous recevrons des informations sur ce site de la part de ceux qui auraient envie de partager, avant que tout soit définitivement perdu.

mardi 24 novembre 2015

Coup de projecteur sur des petits vestiges

Article initialement paru en mars 2014

L’Alice Robert transformé en SG11 a été chargé de tourelles et de canons. A l’époque, ça n’était pas pour faire beau. Depuis que l’épave est visitée, ça a changé : le monumental est devenu de la déco qu’on observe, un peu comme les sculptures d’un lieu d’exposition. Autour des plus gros, il y a des petits ou, plutôt, des restes de petits : toute une série de mitrailleuses de 20 mm dont il ne subsiste aujourd’hui quasiment plus que les supports. Rapide coup de projecteur sur ces vestiges.
C’est encore un jour où la lumière peine à parvenir au fond. Le double canon de 37 mm sur sa tourelle est assez gros et surélevé pour ressortir en contre-jour.


Au bord de la cassure, le gros canon de 105 mm pointant vers la surface attire les anthias. C’est intrigant de voir ces poissons localisés plus spécialement autour du haut du canon, plus fin et sans recoin, que de la base et de son bouclier.



D’une manière générale, les anthias semblent aimer les canons.



Entre ces importantes structures, le long des bords, le navire était équipé d’une vingtaine de mitrailleuses de 20 mm pour la défense antiaérienne. Ces armes étaient encore en place au début des années 60 et certaines d’entre elles encore à la fin des années 90. Actuellement, il n’en subsiste pratiquement plus. L’acier en milieu marin à une tendance à l’évaporation… Vers la surface…
Des Flakvierlings (4 mitrailleuses de 20 mm montées ensemble), il n’y a plus que les bases des petites tourelles sur le pont avant et les supports des canons à l’arrière du château. Pas facile d’identifier ces objets en partie détruits et recouverts de filets.



Les mitrailleuses simples étaient fixées sur des embases ayant une fourche. C’est tout ce qui est visible à présent. Il y en a tout le long du navire. Sur le château et la partie avant la cassure, ces embases sont dans des états différents. Certaines sont tombées,


D’autres pas loin de l’être,


D’autres encore emmaillotées


Pour celles qui restent, comme leurs homologues du pont avant, les corynactis colonisent la fourche et la manivelle.


Ces corynactis couvrent d’ailleurs une très grande partie de l’épave, mais pas encore cette pompe de cale.


Nous rejoignons le mât pour remonter comme à notre habitude le long de cette grande flèche de 13 m de haut. Arrivés à la croix, nous y croisons les anthias qui aiment aussi cette position, la plus élevée de l’épave.


Pendant les paliers, pour éviter de penser à mes orteils entrés en hibernation à cause du bain dans cette eau à 12°C, je me repasse les images de la plongée. Les plongeurs vont plus naturellement vers les éléments les plus imposants, vers le mât et les gros canons. C’est naturel. Pourtant, pour appréhender la richesse de ce qu’était ce navire de guerre, il y a ces plus petits vestiges, mutilés et assez dégradés. Ils ne sont pas faciles à décrypter si l’on n’a pas eu auparavant un minimum d’information. En la partageant, elle pourra prendre corps au fond.

Conservation, mise en valeur et oubli (2)

Article initialement paru en juin 2012

Comme je l’ai dit précédemment (voir Conservation, mise en valeur et oubli), les vestiges sont parfois maintenus sur place, parfois entreposés dans des locaux dédiés et parfois utilisés pour la déco, tout simplement. D’autres intérêts peuvent être associés aux vestiges extraits : l’histoire et la pédagogie. Mais pour cela, encore faut-il que les objets soient accessibles et valorisés par ceux qui en ont la connaissance.

Pour les amateurs des épaves de la région, le Saumur a une spécificité. L’un des points forts de sa visite est son emblématique mitrailleuse qui tourne encore sur son axe. Elle avait une sœur jumelle, montée elle aussi sur une tourelle sur le gaillard d’avant, qui a été remontée il y a un peu moins de 20 ans. Pas facile pour le plongeur de deviner les détails de l’arme sous la couche d’encroûtement.


Après sa réquisition par l’Axe, le Saumur avait reçu 4 mitrailleuses : 2 à la proue et 2 à la poupe. Cet armement devait servir essentiellement à la lutte anti-aérienne de ce long et lent cargo.
Il existe à terre dans la région une mitrailleuse soigneusement nettoyée et entretenue. Elle est incomplète et ne tourne plus, mais elle peut être utile à qui aimerait savoir à quoi ressemblait l’armement du Saumur avant qu’il serve de support de développement à toute une biodiversité marine solidement accrochée.


Cette mitrailleuse n’a pas d’indication de provenance. Hors de son contexte d’origine, elle est anonyme. La traçabilité n’est plus qu’orale avec les risques d’altération voire de perte d’information. A ceux qui lisent cet article, ces images sont là pour le souvenir, la conservation, la mise en valeur, mais pas l’oubli.

Conservation, mise en valeur et oubli

Article initialement paru en avril 2012

On ne peut pas tout conserver, sinon il faudrait vivre là où il n’y a ni vestige détecté, ni vestige entreposé, ce qui serait impossible dans notre vieille France. Le devenir du vestige dépend de nombreux facteurs, comme l’argent qu’il risque de coûter, la place qu’il occupe (souvent reliée à l’argent que ça coûte) et l’intérêt historique (selon les goûts des décideurs). Tout cela peut donc être très relatif… Les objets sont parfois maintenus sur place, parfois entreposés dans des locaux dédiés et parfois utilisés pour la déco, tout simplement.
Dans le fascicule des Naufrages en Languedoc-Roussillon qui traite du cas du Saint Lucien, j’avais noté la photo en noir et blanc montrant l’hélice de secours de ce cargo mise en évidence sur un socle de briques et de béton à l’entrée de Port-Vendres. Les années ont passé et très récemment j’ai eu envie d’aller voir ce qu’était devenu ce morceau d’épave remonté à la surface. Las ! Sur le bout de terrain où se trouvait le monument, un petit supermarché discount avait poussé ! Malgré des tours et des détours dans la ville, aucune trace de l’hélice, alors que nombre d’objets évoquant le passé militaire et marin sont utilisés pour la déco urbaine. En fait, l’hélice est toujours visible en extérieur, abandonnée dans un coin en friche.



Les canons (probablement d’époque napoléonienne) sont stockés là depuis au moins 4 ans. L’hélice est posée contre le bâtiment adjacent inoccupé.


La sangle qui a dû servir à la transporter n’a même pas été enlevée.


Les dimensions de l’objet sont impressionnantes. Elle mesure presque 4 m d’envergure. Au plus large, les pales font environ 80 cm. Son volume de métal donne une estimation d’environ 1 500 kg. Elle doit être sensiblement comparable à l’hélice encore en place sur l’épave. Il faudrait prendre les mesures de celles du Saumur, de l’Astrée et de l’Alice Robert pour comparer.


Je ne peux pas m’empêcher de me poser quelques questions : pourquoi l’hélice avait-elle été remontée à l’origine ? Si elle avait été jugée valable pour la déco à l’entrée de la ville, pourquoi plus maintenant ? Pourquoi l’avoir abandonnée en compagnie de canons bicentenaires dans cette friche ?
Cette hélice n’a pas de marque visible de provenance, d’appartenance (ou alors c’est bien caché). Sans son contexte, elle est anonyme. Sans traçabilité, ce n’est plus qu’une grosse hélice, un gros tas de ferraille. De même, l’ancre de secours du Saint Lucien, utilisée comme corps-mort, écartée de l’épave, doit être à présent une ancre anonyme quelque part au fond…
Quel est l’intérêt de cette hélice ? Bien sûr, c’est parce qu’elle provient d’une épave que je visite de temps en temps depuis des années que je lui trouve un intérêt. J’admets qu’une hélice d’un cargo de l’Entre-deux-guerres ne puisse pas présenter intrinsèquement un intérêt historique extraordinaire. Pourtant, elle a été remontée sans être fondue pour son alliage. Etait-ce simplement pour la décoration ?
A ceux qui lisent cet article, ces images sont là pour le souvenir, la conservation, la mise en valeur, mais pas l’oubli.

Tournée d’inspection : le Saint Lucien

Article initialement paru en juillet 2010

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas pu faire une tournée d’inspection des épaves. Les occasions ont été plus que rares. D’année en année, à chaque nouvelle saison, les épaves nous montrent quelques signes supplémentaires de vieillesse.
On ne va pas se bousculer sur l’épave car à part nous deux, une seule autre équipe descendra derrière nous. Ce jour-là, me voilà largué sur le Saint Lucien en compagnie d’un examinateur habitué des lieux. Voyons ce qui a pu changer depuis l’automne dernier.
Le bout de balisage mène au château bien écroulé. Les bases des tuyauteries d’aération, encore dressées, sont trop larges pour abriter des congres. Ou alors il n’y a pas de congre assez gros sur l’épave, ce qui n’est peut-être pas plus mal pour les visiteurs qui viendront faire la visite…


Direction la poupe. Le pont arrière ne s’est pas arrangé, mais il ne semble pas plus dégradé. Plusieurs nudibranches (flabellines et doris tricolore) habitent sur le bastingage.


Les formes des restes de structures du gaillard arrière se dessinent. C’est encore la partie la mieux conservée de l’épave.


La coque est très ajourée et les écoutilles ne sont plus les seuls accès à l’entrepont.


Sur la dunette, une structure à l’évidence rotative et dont je ne connais pas le rôle est toujours en place, bien encroûtée. Dans le bastingage à l’extrémité de la poupe ne loge plus qu’un des 2 congres dans un conduit qui se fait un peu court et étroit. Il lui faudra sûrement songer à déménager.


Retour au château pour faire un petit tour sur ce qui était le pont avant.


Les bossoirs gisent sur les restes des cloisons qui ne sont pas encore tombées. 


Et c’est sous l’un d’eux et d’autres débris que repose la baignoire.


Pour ce que j’ai pu en juger, l’épave n’a pas subi de dégâts visibles depuis l’automne dernier. Comme d’habitude, la visite doit rester prudente en raison de la fragilité des structures, mais il y a de quoi se faire plaisir. Mon binôme ne dira pas le contraire !

lundi 23 novembre 2015

Le Bazan

Article initialement paru en 2007


Je renseignais la carte des sites de plongée quand je me suis souvenu d’un lieu que je n’ai pas visité cette année : l’épave du Bazan.
Quelle histoire que celle des derniers jours de ce voilier à vapeur en fer de 60 m ! On y trouve du commerce avec l’Afrique, la première guerre mondiale et les sautes d’humeurs aussi violentes qu’imprévisibles de la Méditerranée. Tout s’arrête le soir du 21 décembre 1917, au pied du phare du cap Béar, non loin des éboulis.
Il ne reste pas grand-chose du Bazan et la plongée n’est pas véritablement une plongée sur épave telle que l’on peut la faire sur les autres vestiges du secteur. Il est désormais impossible de s’imaginer ce qu’était le navire, la mer, battant le bateau sur les roches, ayant complètement désagrégé les structures au fil des décennies. Mais les traces sont là, à peine à quelques mètres de fond.
Des membrures, en partie recouvertes par les graviers, s’étalent par morceaux sur quelques dizaines de mètres.



Des débris jonchent le fond, avec parfois des pièces auxquelles je ne sais pas attribuer de fonction.



Par endroits, les tôles sont dressées, plantées dans le sol, fusionnées avec le substrat.


Et, dans une faille, des restes d’un arbre et d’un gros vilebrequin, reliquat symbolique aujourd’hui de cette fortune de mer.




Bien entendu, ces quelques vestiges sont habités et il ne faudrait pas oublier d’observer les hôtes de ces lieux, des plus classiques et voyants comme les astéries rouges, aux plus petits et craintifs comme cet Inachus.



Et puis, au détour d’une roche, s’arrêter un instant pour regarder une aplysie nager et se poser…


Déambuler au milieu de ces fragments d’histoire tout contre la falaise dans peu d’eau implique de supporter le battement des vagues et d’accepter une visi pas forcément très bonne les jours de mer un peu agitée.