On ne peut pas tout conserver, sinon il faudrait vivre là où
il n’y a ni vestige détecté, ni vestige entreposé, ce qui serait impossible
dans notre vieille France. Le devenir du vestige dépend de nombreux facteurs,
comme l’argent qu’il risque de coûter, la place qu’il occupe (souvent reliée à
l’argent que ça coûte) et l’intérêt historique (selon les goûts des décideurs).
Tout cela peut donc être très relatif… Les objets sont parfois maintenus sur
place, parfois entreposés dans des locaux dédiés et parfois utilisés pour la
déco, tout simplement.
Dans le fascicule des Naufrages en Languedoc-Roussillon qui
traite du cas du Saint Lucien, j’avais
noté la photo en noir et blanc montrant l’hélice de secours de ce cargo mise en
évidence sur un socle de briques et de béton à l’entrée de Port-Vendres. Les
années ont passé et très récemment j’ai eu envie d’aller voir ce qu’était
devenu ce morceau d’épave remonté à la surface. Las ! Sur le bout de
terrain où se trouvait le monument, un petit supermarché discount avait
poussé ! Malgré des tours et des détours dans la ville, aucune trace de
l’hélice, alors que nombre d’objets évoquant le passé militaire et marin sont
utilisés pour la déco urbaine. En fait, l’hélice est toujours visible en
extérieur, abandonnée dans un coin en friche.
Les canons (probablement d’époque napoléonienne) sont
stockés là depuis au moins 4 ans. L’hélice est posée contre le bâtiment
adjacent inoccupé.
La sangle qui a dû servir à la transporter n’a même pas été
enlevée.
Les dimensions de l’objet sont impressionnantes. Elle mesure
presque 4 m d’envergure. Au plus large, les pales font environ 80 cm. Son
volume de métal donne une estimation d’environ 1 500 kg. Elle doit être sensiblement
comparable à l’hélice encore en place sur l’épave. Il faudrait prendre les
mesures de celles du Saumur, de l’Astrée et de l’Alice Robert pour comparer.
Je ne peux pas m’empêcher de me poser quelques
questions : pourquoi l’hélice avait-elle été remontée à l’origine ?
Si elle avait été jugée valable pour la déco à l’entrée de la ville, pourquoi
plus maintenant ? Pourquoi l’avoir abandonnée en compagnie de canons
bicentenaires dans cette friche ?
Cette hélice n’a pas de marque visible de provenance,
d’appartenance (ou alors c’est bien caché). Sans son contexte, elle est
anonyme. Sans traçabilité, ce n’est plus qu’une grosse hélice, un gros tas de
ferraille. De même, l’ancre de secours du Saint Lucien, utilisée comme corps-mort, écartée de l’épave, doit
être à présent une ancre anonyme quelque part au fond…
Quel est l’intérêt de cette hélice ? Bien sûr, c’est
parce qu’elle provient d’une épave que je visite de temps en temps depuis des
années que je lui trouve un intérêt. J’admets qu’une hélice d’un cargo de
l’Entre-deux-guerres ne puisse pas présenter intrinsèquement un intérêt
historique extraordinaire. Pourtant, elle a été remontée sans être fondue pour
son alliage. Etait-ce simplement pour la décoration ?
A ceux qui lisent cet article, ces images sont là pour le
souvenir, la conservation, la mise en valeur, mais pas l’oubli.
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